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Ce que je viens
d’exposer en matière de littérature généraliste s’applique encore bien
davantage aux traités hermétiques ou alchimiques, ou aux textes sacrés,
ce qui est du pareil au même. En effet, ces derniers, une fois
dépouillés des préceptes moraux qu’ils renferment, ne sont que des
véhicules de la pensée hermétique ; ils en exposent la théorie comme
« la pratique ». J’utilise ce terme avec toute la prudence requise et
aurais l’occasion de revenir sur le sens qu’il convient de lui donner.
La démarche des auteurs anciens – comme celle d’écrivains plus modernes
– appartenant à ce courant, peut vous sembler ambiguë. Ce sentiment est
généré par le fait que leur démarche consistait à dévoiler puis à
re-voiler. En cela, ils usaient de ce fameux « principe de précaution »
tellement à la mode mais qui, de nos jours, est motivé uniquement par le
souci d’ouvrir le parapluie et de fuir ses responsabilités. Ce que je
viens de m’efforcer de vous expliquer le plus clairement possible vous
permettra de comprendre pourquoi les évangiles paraissent se contredire
sur ce point précis. On peut y lire que « les perles ne doivent pas
être jetées aux pourceaux » et, ce qui est antinomique, que « la lumière
n’est pas faite pour être placée sous le boisseau ». Ceci étant
précisé, je me dois de me situer ne serait-ce qu’afin que vous sachiez
si vous pouvez accorder un minimum de crédit à ce que vous lirez.
Je
n’appartiens à aucun courant de pensée, à aucune école, aucune société,
aucun cercle et, par conséquent, ne suis lié par aucun devoir de
réserve. Je suis entièrement libre de mes propos. Si tel n’était pas le
cas, il me serait impossible de porter à votre connaissance ne serait-ce
qu’un dixième de ce que j’entends vous confier, et de faire voler en
éclats les idées reçues ou toutes faites.
Pour que
les choses soient parfaitement établies, je suis autodidacte – ce qui
est totalement impardonnable au sein d’une société soumise à la
dictature des sacro-saints diplômes lesquels sont censés « sanctionner »
des études universitaires. Cette formule m’a toujours réjoui en raison
de l’acception punitive de ce verbe. Mon parcours a été un peu plus
chaotique, mais ô combien plus enthousiasmant et enrichissant.
Né en
1947, à Paris, j’ai passé mon enfance et mon adolescence à proximité des
jardins du Palais-Royal, demeurant dans une mansarde, dont l’unique
lucarne donnait sur un ciel dont l’aspect marquait les saisons et, en
contrebas, sur la place des Victoires. Dans ce quartier, alors
populaire, j’eus tout loisir de côtoyer la misère la plus noire – celle
notamment de ce fameux hiver 54 qui déjà vit mourir dans les rues
balayées par un vent glacial des « sans domicile fixe » ce qui motiva le
coup de gueule de l’abbé Pierre. Plus de cinquante ans plus tard,
l’aristo au grand cœur s’en est allé pour ce Paradis auquel il croyait
sans doute et au sujet duquel je suis très dubitatif, bien qu’ayant été
élevé dans la religion catholique… et il y a toujours des sans-abri. Les
études ? Je les suivis sans enthousiasme ou, plus exactement, je les
poursuivis… sans parvenir à les rattraper ! Heureusement, il y avait les
jeudis et les dimanches passés dans des salles de cinéma de quartiers –
elles aussi disparues et remplacées par des complexes qui en sont
dépourvus même s’ils sont privés d’âme – où nous nous réfugiions afin
d’y chercher un peu de rêve et trouver une chaleur absente de notre
logement. Et, surtout, il y eut la lecture. Un luxe pour certains ; mais
j’avais la chance d’avoir un père cycliste de presse et, par conséquent,
je n’ai jamais manqué de livres. Comme quoi la providence – ou quelque
chose qui y ressemble – semble savoir ce qui nous est nécessaire. Ce qui
fut, également providentiel, c’est ce père qui, s’il ne maîtrisa jamais
l’orthographe et la grammaire, avait tout lu. Il avait pris goût à la
lecture durant les cinq années de captivité passées dans un stalag. Un
quiproquo avait été à l’origine de cette passion. S’ennuyant, il avait
écrit à l’un de ses amis, le journaliste Hervé Mille. Le courrier,
parvint à un homonyme, l’écrivain Pierre Mille, un proche de Pierre
Benoît et de Pierre Mac Orlan. Pierre Mille proposa généreusement de
parrainer mon père et de lui envoyer régulièrement des colis. Les trois
« Pierre » furent mêlés de très près au courant ésotérique et hermétique
du XXe siècle. Ils fréquentèrent le cercle des Veilleurs, dont le siège
était établi sur l’emplacement de l’actuel Musée de Balzac. Parmi les
nombreuses personnalités qui en furent membres on peut relever le
franc-maçon Jules Boucher, l’égyptologue Schwaller de Lubicz et
Jean-Julien Champagne, le dessinateur des deux ouvrages consacrés à
l’alchimie qui furent signés Fulcanelli. Ceci je devais l’apprendre bien
des années après la disparition de mon père qui ne s’intéressa jamais,
ni de près ni de loin, à l’ésotérisme. En revanche, de lui j’appris bien
d’autres choses : que la justice n’est pas uniquement aveugle mais aussi
sourde, que les systèmes et les idéologies peuvent être généreux mais
que leur application laisse souvent à désirer, que l’Homme est capable
du pire comme du meilleur et qu’il convient de ne rien accepter comme
l’expression de la vérité sans avoir usé de son propre jugement et de sa
raison. Enfin, je lui dois d’avoir vu s’exercer la bonté, la charité et
la compassion à l’égard de ses semblables, ces vertus que, trop souvent,
les esprits se piquant de religion oublient de vivre au quotidien…
Ma toute
première jeunesse se déroula sur fond des années rock’n roll. Puis il y
eut le chambardement de 1968… une tempête dans un verre d’eau, où tout
ne fut pas négatif, ni positif d’ailleurs. Pour quelques-uns ce fut un
formidable creuset, un bouillonnement d’idées et l’on vit la curiosité
s’exacerber. Entre deux manifs, on découvrait l’œuvre d’Herbert Marcuse
– aujourd’hui bien oublié – et les philosophies nées en Orient, mais
aussi les étranges pouvoirs de l’esprit. On se passionnait pour la
parapsychologie qui était étudiée aux U.S.A. par le très officiel
Professeur Rhine. En France, pays qui se pique de cartésianisme, sans
même savoir que ce mot n’est pas synonyme de rationalisme desséchant, le
sujet était tabou et uniquement étudié par des marginaux. J’en étais
un…cela tombait bien !
À
l’époque, j’étais déjà entré dans « la vie active » ce qui signifie,
dans l’esprit des gens « sérieux » et le plus souvent sans imagination,
que je travaillais afin de gagner ma vie… ce qui équivaut souvent à la
perdre. Il est vrai que le chômage n’était pas encore devenu endémique
et que l’Europe entrait dans ce que l’on devait appeler « les trente
glorieuses ». C’était le boom économique. Je m’étiolais dans une banque
et m’y ennuyais ferme. Cela devait durer vingt cinq ans. Ayant fait le
tour de la littérature internationale, je décidais de prospecter l’enfer
des bibliothèques, non pas celui de la pornographie et de l’érotisme,
mais celui de l’ésotérisme. En dépit de la proximité phonétique de ces
deux mots, il n’existe aucun rapport entre ces deux domaines si ce n’est
que ces deux types de littérature circulent sous le manteau. Mon
parcours au sein de l’abondante et sombre forêt de l’occultisme fut
quelque peu désenchanté. J’en arrivais à la conclusion, décevante, que
99,99% des auteurs, qui m’étaient passés entre les mains ne savaient
rien ou pas grand-chose, qu’ils se vantaient d’un savoir et de pouvoirs
dont ils ne détenaient pas les clés. J’étais bien près d’abandonner
quand je tombais sur les livres qui devaient me fournir le passe-partout
indispensable pour qui veut ouvrir les serrures les plus hermétiquement
closes. J’entrouvris la porte et ce que je vis derrière ne ressemblait à
rien de ce que j’avais lu. Je me trouvais en présence d’un univers
totalement différent, un monde fascinant mais scellé aux individus
pontifiants, incapables de remettre en question leurs acquis, leurs
certitudes et bien trop orgueilleux pour reprendre leurs études en
constatant comme Socrate qu’ils ne savent rien. Je retournai m’asseoir
humblement sur les bancs d’une autre école afin d’y apprendre les
rudiments d’une autre science, selon la belle formule du dernier des
grands alchimistes français : Fulcanelli. Je commençai par me défaire
des idées reçues, de ces « douloureuses courbatures contractées aux
barres fixes de l’enseignement officiel » comme l’écrivit Irène Hillel
Erlanger, une dame dont nous aurons à reparler. Et, comme c’est toujours
le cas, je commençai par apprendre l’alphabet de ce nouveau langage,
allant d’émerveillements en émerveillements. J’y ai consacré plus de
quarante ans et cela continue.
Dans le
monde extérieur, c’était le flowers power et les hippies faméliques, aux
vêtements bigarrés, prônant la paix et l’amour libre, l’amour pas la
guerre, sur fond de fin de conflit au Vietnam où s’enlisaient les GI’s
américains, un conflit qui allait s’achever sur un désastre pour la
toute puissante Amérique. Les hippies rêvaient d’un autre monde, d’un
retour à la nature. Un paradis en somme. Le paradoxe fut que le
mouvement se liquéfia avant de disparaître. Fut-ce parce que, en ouvrant
les portes de la perception, comme le disait Huxley, ils furent
incapables de dépasser celles ouvrant sur des paradis artificiels ?
L’absolu ne se trouve pas au fond des éprouvettes des laboratoires
chimiques qu’ils soient officiels ou clandestins !
Dans la
communauté hippie circulaient d’étranges histoires dont la naïveté ne
devait être dépassée que par les cercles New Âge une décennie plus tard.
On évoquait le voyage de Notovitch et un hypothétique séjour de
« Jésus » au Tibet qui serait allé mourir au Cachemire. De quoi
alimenter les rêveries d’esprits et de cœurs à la recherche de
merveilleux. Malheureusement, ces contes ne résistaient pas à un examen
sérieux. Ce furent ces fables qui m’amenèrent à m replonger dans
l’histoire de la chrétienté. Les travaux de deux érudits de la fin du
XIXe siècle et du début du XXe confirmèrent mes intuitions. Les
religions ne rapportaient pas des faits historiques, elles étaient des
allégories, des véhicules de connaissances anciennes, en particulier
celles ayant trait à l’alchimie. Cette hypothèse se trouva confirmée
quand j’acquis la conviction que les textes formant Le Nouveau Testament
ne furent rédigés qu’entre les IIe et IVe siècles et qu’ils furent fixés
véritablement vers le VIe. En revanche, il était indubitable que les
écrits « chrétiens » étaient directement issus des traités hermétiques
de la Gnose d’Alexandrie qu’ils s’en nourrirent. De même, la Gnose
s’intégra ce nouveau véhicule et en utilisa le symbolisme afin de
propager ses enseignements.
À l’âge
de quarante ans, et ce chiffre n’est pas anodin, mon existence prit un
nouveau tournant. Cela se fit grâce à un événement qui, pour la plupart
des gens, constitue un événement dramatique. Je perdis mon travail. Il
convient de préciser que ce licenciement intervint après une intense
expérience de lâcher prise. Six mois plus tard, je publiais mon premier
livre. Et cela dure depuis vingt ans.
Pourquoi
vous avoir raconté ce qui précède ? Parce que lors de mes premières
incursions dans le domaine mystérieux mais passionnant de l’alchimie ce
furent les deux ouvrages signés Fulcanelli qui déclenchèrent mon
intérêt. Toutefois, à l’issue de ma première lecture je n’y compris pas
grand-chose. Néanmoins, je sentis confusément que ces ouvrages
contenaient des confidences importantes et une vérité que je n’avais pas
trouvée auparavant. Mais pouvais-je faire confiance à leur auteur ? Et
comme le nom utilisé en guise de signature était un pseudonyme, enquêter
sur sa personnalité n’était pas aisé. Cela me prit des années
d’investigations durant lesquelles je relus et relus encore ces deux
ouvrages, en pénétrant chaque fois davantage le sens. Dans le même
temps, je glanais tous les renseignements concernant ce milieu de
l’hermétisme, recueillais toutes les confidences des témoins directs ou
indirects, essayant de faire la part de ce qui était vrai et de ce qui
n’était qu’affabulations. Ce jeu de pistes me fit découvrir des terrains
inexplorés, y compris au sein de la littérature populaire, de celle qui
ne l’était pas, et dans la peinture. Ma conviction en fut renforcée et
je sus que je pouvais faire confiance à l’auteur des ouvrages en
question. Le seul et unique moyen de savoir si sa confiance est bien
placée est de savoir à qui l’on a affaire. Telle est la raison pour
laquelle je ne vous ai rien scellé de mon parcours. Libre à vous, à
présent, de croire, ou non, ce que vous lirez dans les mois à venir… |