|
|
Je suis ravie
de t’avoir retrouvée d’une manière inattendue et miraculeuse. Une
sœur portugaise que j’ai rencontrée dans un foyer de Paris était une
vraie messagère.
Quand j’ai prononcé ton nom, elle m’a dit que
tu étais connue au
Portugal et qu’elle avait trouvé ton nom dans des revues. Et après
qu’elle est rentrée dans son pays, suite à sa mutation de l’été
dernier, un jour j’ai reçu
ton mail. Combien cela m’a surprise ! Ça
faisait de longues années que j’avais perdu le contact avec toi bien
que tu sois toujours présente en moi comme ma bienfaitrice. Si je ne
t’avais pas rencontrée, je ne serais pas telle que je suis.
C’était sur le
campus de l’Université de Grenoble que je
t’ai rencontrée à l’été 1981. Tu es apparue devant moi qui
venait d’arriver du Japon pour mon premier séjour en France et
tu m’as adressé des paroles pleines
de gentillesse. Peut-être ta sœur ayant travaillé à l’ambassade du
Japon au Portugal, as-tu éprouvé de la sympathie envers moi ? On a
sympathisé tout de suite. |
|
Je t’ai appelée «Madame écoute». En effet, tu as souvent commencé tes
phrases par « écoute » quand tu t’es adressée à moi : « écoute, Sumiyo,
ici en Europe, ce qui est important, c’est de bien ranger et garder les
documents officiels pour avoir des preuves.» «Ecoute, Sumiyo, ici en
Europe le noir est la couleur la plus féminine et élégante.» etc. Mais
ton « écoute » le plus impressionnant, c’est celui par lequel tu m’as
appris ceci : « Ici il y a un professeur spécialiste de Bergson. Tu
pourrais t’inscrire dans l’unité de philosophie ». Ainsi c’est toi qui
m’as lancé l’appel qui a guidé mon chemin, celui que j’avais cherché au
fond de moi mais auquel j’avais failli renoncer. J’étais venue avec une
bourse dans le but d’obtenir un diplôme d’enseignement du français. Toi
qui avais obtenu ton doctorat à l’Université de Paris sous la direction
d’Henri Gouhier tu connaissais bien
aussi les philosophes de Grenoble. Celui-ci que je connaissais de nom
comme auteur de Bergson et le Christ des Evangiles m’apparaissait
comme quelqu’un de plus proche. Et deux
mois plus tard j’ai pu m’inscrire au DEA de philosophie. Et c’est ainsi
que j’ai eu la chance de rencontrer Monsieur le professeur François
Heidsieck, auteur de Henri Bergson et la notion d’espace et de
l’avoir comme directeur de thèse. De plus à travers lui, j’ai pu
rencontrer ma mère en philosophie, Madame Parain-Vial, la première
spécialiste de Gabriel Marcel, qui m’a vraiment aidée. Mais si, de
longues années plus tard, j’ai enfin terminé ma thèse sur l’étude
comparative de Bergson et de Marcel, c’est avant tout grâce à ma grande
sœur Ana-Luίsa.
Tu m’as même invitée chez toi,
à Lisbonne. Sans toi, je n’aurais jamais découvert la douceur du
Portugal et des Portugais qu’aimait un écrivain vagabond japonais, Kazuo
Dan. Ta famille, tes collègues, la Tour de Lisbonne d’où sont partis
Luís Fróis, l’auteur de l’histoire du Japon au 16 e
siècle, et des marchands... Et j’ai eu l’honneur de parler dans ton
cours de sémiologie à l’Université des Sciences, de la signification de
l’espace du salon japonais, du « tokonoma
» ( renfoncement destiné à
recevoir des objets décoratifs ) donné par toi comme sujet d’un
mini-discours. Tu m’as donné l’occasion d’y réfléchir et j’ai appris que
cet espace où on met un tableau de lavis etc. et des fleurs en vase,
sert aussi à se sentir à l’aise dans le silence quand on est en
.contemplation devant eux. Après le cours, quelques-unes de tes
étudiantes très
sympathiques et élégantes
m’ont emmenée au Musée et m’ont fait découvrir à ma grande surprise un
grand «biombo» doré et brillant dont j’allais retrouver le même beaucoup
plus tard au Musée de Nagasaki. Et il
reste aussi, imprimés dans mon souvenir, des camélias s’harmonisant en
plein printemps avec le château de Sintra et des propriétés cossues
construites par des navigateurs de retour du Brésil, comme s’ils avaient
oublié l’hiver de leur origine japonaise. Sans oublier tant d’autres cadeaux du
cœur que tu m’as offerts.
La rencontre avec toi, « m’a
développée du dedans, elle a joué par rapport à moi comme principe
intérieur » si je reprends les expressions de G. Marcel. Et toi, avec «
l’énergie morale », sur la scène internationale, tu enseignes, tu écris
dans des revues, tu fais des communications,
tu entres en contact avec des
gens et tu les influences, tu «mobilises des
ressources humaines et matérielles». Ainsi tu incarnes la pensée de
Teilhard de Chardin au sujet duquel tu as eu la gentillesse de m’offrir
ta thèse intitulée Réflexion philosophique sur l’énergétique dans la
pensée de Pierre Teilhard de Chardin, n’est-ce pas?
Sumiyo, «Mlle n’est-ce pas ?» qui t’est
toujours reconnaissante de tout son cœur. |